Union Européenne
Clause Attributive de juridiction asymétrique soumise au règlement Bruxelles I bis
CJUE, 27 févr. 2025, aff. C-537/23, Società Italiana Lastre SpA (SIL) c/ Agora SARL
En bref :
Le 27 février 2025, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé, sur saisine de la Cour de cassation française, les conditions de validité des clauses attributives de juridiction dites « asymétriques » au regard de l’article 25 du règlement Bruxelles I bis (règlement [UE] n° 1215/2012) (le « Règlement »).
Elle affirme qu’une clause de juridiction asymétrique — qui réserve à une seule des parties la faculté de saisir plusieurs juridictions compétentes, tout en contraignant l’autre partie à une seule juridiction — est valide si elle remplit des conditions strictes de prévisibilité et de sécurité juridique.
Les faits :
La société italienne Società Italiana Lastre SpA (SIL) a conclu un contrat de fourniture de marchandises avec la société française Agora SARL.
Le contrat comportait une clause attributive de juridiction désignant les tribunaux de Brescia (Italie). En cas de litige, seule SIL pouvait saisir d’autres juridictions, tandis qu’Agora était limitée au tribunal désigné.
Un différend est survenu et Agora a assigné SIL devant le tribunal judiciaire de Rennes (France), qui a écarté la clause au motif de son caractère déséquilibré.
La Cour d’appel a confirmé, mais la Cour de cassation a sursis à statuer, considérant que plusieurs interprétations de l’article 25 du règlement Bruxelles I bis étaient possibles. Elle a donc posé trois questions préjudicielles à la CJUE sur la validité de cette clause asymétrique.
Moyens :
La Cour de cassation interroge la CJUE sur trois points. Tout d’abord, si le caractère asymétrique d’une clause attributive de juridiction peut être apprécié comme une irrégularité de forme ou comme une cause de nullité au fond de la clause. Puis, elle s’interroge à propos des critères autonomes, s’ils doivent être retenus, une clause asymétrique est-elle valable dès lors qu’elle permet à une seule partie de saisir d’autres juridictions tout en limitant l’autre à celle désignée ? Enfin, quel droit de l’État membre de la juridiction désignée doit s’appliquer et comment en déterminer sa compétence.
Réponse de la Cour :
En réponse à la première question, elle juge qu’une clause asymétrique est valable si elle désigne une juridiction d’un État membre ou partie à la convention de Lugano II, si elle repose sur des éléments objectifs permettant au juge de vérifier sa compétence. Enfin, si elle ne contrevient pas aux articles 15, 19 ou 23 du règlement (protection des parties faibles), ni à l’article 24 (compétences exclusives).
En réponse à la deuxième question, la CJUE précise que la validité d’une clause de juridiction ne doit pas être appréciée selon le droit national de la juridiction désignée, mais à l’aune des critères autonomes de l’article 25 du règlement Bruxelles I bis.
Concernant la troisième question, la CJUE estime avoir répondu en traitant les deux premières.
Par cet arrêt du 27 février 2025 (C-537/23), la CJUE affirme que les clauses de juridiction asymétriques sont, en principe, compatibles avec le droit de l’Union, à condition qu’elles respectent les exigences d'identifiabilité, d’objectivité, et de sécurité juridique posées par l’article 25 du règlement Bruxelles I bis.
Pour mémoire l’article 25 dispose que :
« 1. Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties.
(…) ».
La CJUE considère que la notion de « nullité quant au fond » vise les causes générales de nullité d’un contrat, i.e. notamment les vices de consentement (erreur, dol ou violence, incapacité de contracter), l’impossibilité ou l’illicéité de l'objet, l’absence ou l’illicéité de la cause, ou encore la contrariété à une règle d'ordre publique.
En revanche la validité d’une convention attributive de juridiction au regard de son caractère prétendument déséquilibré doit être examinée au regard non pas des critères relatifs aux causes de « nullité quant au fond », au sens de l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du règlement Bruxelles I bis, mais de critères autonomes qui se dégagent de cet article 25, tel qu’interprété par la CJUE
La validité d’une clause attributive de juridiction asymétrique
- ne dépend donc pas du droit national, mais d’un standard autonome du droit de l’Union, renforçant la prévisibilité contractuelle et la sécurité des transactions transfrontalières ;
- se fonde sur le principe de l'autonomie de la volonté des parties à un contrat tel que rappelé par le considérant n° 19 du Règlement (sous réserve des exceptions limitant l’autonomie de volonté telles qu’expressément visées dans ce dernier, relatifs aux contrats d’assurance, de consommation et de travail).
A rapprocher :
- La décision : https://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2025/06/c-53723.pdf
- Règlement Bruxelles I bis :https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2012:351:0001:0032:fr:PDF
Un article rédigé par Cristelle Albaric du département International