Calcul du délai de péremption d'un permis de construire
Ce qu'il faut retenir :
Dans une décision en date du 21 février 2025, le Conseil d'État a clarifié les règles concernant la péremption du délai de validité des autorisations d'urbanisme, notamment les permis de construire. Celui-ci a mis fin aux divergences en tranchant clairement sur le moment auquel une décision juridictionnelle devient irrévocable : le délai de péremption d’un permis de construire recommence à courir deux mois et deux jours après le prononcé de la décision rejetant le recours, non frappée d’appel ou de pourvoi en cassation.
Pour approfondir :
En l’espèce, il s’agissait d’une société ayant obtenu un permis de construire à Marseille le 30 mars 2016. Des voisins ont contesté ce permis devant le tribunal administratif de Marseille, lequel a rejeté leur recours le 26 octobre 2017. Par la suite, ces mêmes voisins ont demandé au maire de Marseille de constater la caducité du permis de construire, ce que le maire a fait le 9 septembre 2021. La société a alors contesté cette décision de caducité devant le tribunal administratif de Marseille.
Le tribunal administratif a joint les deux affaires et, par un jugement du 18 décembre 2023, a annulé la décision du maire constatant la caducité du permis, tout en rejetant la demande des voisins tendant à l'annulation du refus implicite de constater cette caducité. Les voisins ont alors formé une tierce opposition contre ce jugement en tant qu'il annulait la décision de caducité. Le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté cette tierce opposition par une ordonnance du 29 février 2024, la jugeant irrecevable.
Les voisins se sont alors pourvus en cassation devant le Conseil d'État.
I. Rappel des dispositions générales
Un permis de construire a une durée de validité de trois ans à compter de sa date de délivrance (Article R. 424-17 du code de l'urbanisme). Le permis peut être prorogé deux fois pour une durée d’un an, portant sa validité maximale à 5 ans, sous réserve que les demandes soient effectuées dans les délais légaux, c’est-à-dire au moins 2 mois avant l’expiration du délai de validité (Art. R. 424-22 du Code de l’urbanisme).
Cependant, il peut devenir caduc si les travaux ne sont pas entrepris dans ce délai, ou si ceux-ci sont interrompus pendant plus d'un an après cette période initiale de 3 ans (CE, 10 mai 2017, n° 399405).
A fortiori, ce délai est suspendu en cas de recours (contentieux uniquement, le recours gracieux ne suspend pas le délai de validité) devant une juridiction administrative contre le permis ou la déclaration préalable. La suspension dure jusqu'à ce qu'une décision de justice « irrévocable » soit prononcée (Article R. 424-19 du code de l'urbanisme).
II. Précisions sur la notion de "décision irrévocable"
La décision du Conseil d'État du 21 février 2025 apporte des précisions sur la manière de déterminer le moment où une décision juridictionnelle devient "irrévocable" dans le cadre de la suspension du délai de validité d'un permis de construire.
Dans l'affaire en question, un permis de construire avait fait l'objet d'une requête en annulation, rejetée par le tribunal administratif. Aucun recours n'avait été déposé contre ce jugement.
La question était de savoir à quel moment précis la suspension du délai de validité prenait fin : la date de lecture du jugement, la date de notification, ou la date d'expiration des délais de recours ?
Le Conseil d'État a opté pour la dernière interprétation, considérant que le délai est suspendu jusqu'à la date d'expiration des délais de recours contre la décision de justice, lorsque la décision de justice devient définitive. Cette interprétation, jugée plus logique et reprenant la jurisprudence de nombreuses cours administratives (notamment CAA Marseille, 6 avril 2023, SCCV Corniche des anges, req., n° 21MA01935), permet de stabiliser la plupart des situations rencontrées en pratique, en tranchant enfin une question qui divisait les tribunaux.
Cependant, cette décision souligne également la nécessité pour le titulaire du permis de réaliser des travaux significatifs dans les délais impartis, même en cas de suspension, afin d'éviter une éventuelle caducité du permis. Ou à défaut, anticiper les prorogations en demandant une prorogation du délai de validité au moins 2 mois avant l’expiration du délai initial.
III. Appréciation des travaux « significatifs » entrepris
Le Conseil d'État s'est également prononcé sur la nature des travaux à considérer comme un "début d'exécution" du permis de construire, susceptible d'interrompre le délai de péremption.
Dans le cas d'espèce, des travaux avaient été réalisés avant la date d'expiration du délai de validité du permis (18 juillet 2021), notamment la mise en place d'une base de vie de chantier, la présence de matériel (compresseur, pelleteuse) et la réalisation de micropieux. Le Conseil d'État a estimé que ces travaux étaient suffisamment importants pour être considérés comme un début d'exécution du permis de construire. En conséquence, l'arrêté constatant la caducité du permis a été jugé illégal.
Cette appréciation fournit des indications concrètes sur l'ampleur des travaux nécessaires pour interrompre le délai de validité d'un permis de construire.
IV. Tierce opposition
Enfin, la décision du Conseil d’Etat précise les conditions de la tierce opposition. Le Conseil d'État a indiqué que si la qualité de voisin d'un projet de construction ne suffit pas à justifier en principe une tierce opposition contre un jugement annulant la décision constatant la caducité du permis de construire, il en va autrement lorsque ce constat a été prononcé à sa demande.
Un article extrait de La Lettre des Affaires Publiques - Juin - Juillet 2025