Article 101$1 TFUE : précision sur les critères d’appréciation des comportements anticoncurrentiels par effet
CJUE, 5 décembre 2024, aff. C-606/23
Ce qu'il faut retenir :
La Cour de justice précise que l’article 101§1 du TFUE n’impose pas à l’autorité de concurrence d’un État membre qui examine si un accord peut être qualifié de restriction de la concurrence par effet de démontrer l’existence d’effets restrictifs concrets et réels sur la concurrence, l’existence d’effets restrictifs potentiels sur la concurrence suffit, à condition qu’ils soient suffisamment sensibles.
Pour approfondir :
Selon l’article 101, paragraphe 1 du TFUE, sont interdits les accords entre entreprises, les décisions d’associations d’entreprises et les pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, c’est-à-dire qui ont pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.
Ainsi, pour démontrer qu’un accord, une décision d’association ou une pratique concertée relève de l’interdiction de l’article 101, §1 du TFUE, il est nécessaire de démontrer une restriction par l’objet ou une restriction par effet, ces deux notions étant parfaitement distinctes et faisant l’objet d’examens différents (CJUE, 21 décembre 2023, aff. C-124/21).
Comme le rappelle la Cour dans cet arrêt, il est de jurisprudence constante qu’une restriction par effet est une restriction qui n’est pas anticoncurrentielle par l’objet, mais qui a pour effet potentiel ou actuel d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché intérieur, et cela de manière sensible.
Les modalités d’examen des restrictions par effet passent, selon la jurisprudence antérieure, par une analyse du scenario contrefactuel, c’est-à-dire une analyse de la situation telle qu’elle serait si l’accord, la décision d’association ou la pratique concertée n’existait pas. Ce scénario contrefactuel doit être réaliste et crédible (CJUE, 27 juin 2024, aff. C-176/19).
Ce sont justement les modalités de l’analyse des restrictions par effet et de leur appréciation par le biais du scenario contrefactuel qui ont fait l’objet de l’arrêt commenté, rendu à la suite d’une question préjudicielle adressée à la Cour de justice par la cour administrative régionale de Lettonie, dans le cadre d’un litige opposant le Conseil de la concurrence de la Lettonie et les sociétés KIA Auto et TALLINNA KAUBAMAJA GRUPP.
Les sociétés contestaient la décision de l’autorité de la concurrence qui avait retenu l’existence d’un accord restrictif de concurrence par effet. En effet, les sociétés contestaient les modalités d’appréciation du caractère anticoncurrentiel de l’accord, l’autorité n’ayant pas démontré des effets réels du comportement anticoncurrentiel, mais seulement des effets potentiels.
Deux questions se posaient dans cet arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne, toutes deux relatives aux modalités d’appréciation des effets anticoncurrentiels du comportement.
La première question soulevée était de savoir si l'autorité de concurrence d'un État membre, lorsqu'elle examine un accord, était tenue de démontrer l'existence d'effets restrictifs concrets et réels sur la concurrence. De cette interrogation découlait une seconde question : la démonstration d'effets restrictifs potentiels suffit-elle à établir le caractère anticoncurrentiel d'un comportement ?
La Cour répond de façon claire et en s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure que « le caractère à la fois réaliste et crédible du scénario contrefactuel ne remet pas en cause la possibilité de tenir compte des effets purement potentiels d’un accord entre entreprises pour rechercher s’il est constitutif d’une restriction de la concurrence par effet. À cet égard, la Cour a notamment jugé que le fait de considérer que, lorsqu’un accord entre entreprises a été mis en oeuvre, il ne pourrait pas être tenu compte des effets potentiels de cet accord pour apprécier ses effets restrictifs de concurrence méconnaîtrait tout à la fois les caractéristiques de la méthode contrefactuelle inhérente à l’appréciation d’une restriction de concurrence par effet ainsi que la jurisprudence selon laquelle les effets restrictifs de concurrence peuvent être tant actuels que potentiels mais doivent être suffisamment sensibles ».
La Cour en conclu que « l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas à l’autorité de concurrence d’un État membre qui examine si un accord […] peut être qualifié de restriction de la concurrence par effet, au sens de cette disposition, de démontrer l’existence d’effets restrictifs concrets et réels sur la concurrence. »
Dès lors, les modalités d’appréciation d’un comportement anticoncurrentiel par effet sont précisées. Il suffit que l’autorité de concurrence de l’État membre qui examine un accord, une décision d’association ou une pratique concertée, au sens de l’article 101§1 du TFUE démontre l’existence d’effets restrictifs potentiels sur la concurrence, à condition qu’ils soient suffisamment sensibles.
Un article rédigé par Clémence Berne et Laurine Pillard du département Concurrence, Distribution, Consommation