Agent commercial : paiement des commissions et indemnité de rupture en l'absence de contrat écrit
CA Versailles, 3 sept. 2025, n° 23/03635
Ce qu'il faut retenir :
Le délai de prescription quinquennale du paiement des commissions dues à l'agent commercial court à compter de la signature des bons de commande ou du renouvellement tacite des contrats conclus avec les clients du mandant.
L'absence d'écrit établissant l'auteur de la rupture du contrat d'agent commercial n'exclut pas le droit de l'agent à percevoir l'indemnité de cessation du contrat, dès lors que le mandant ne démontre pas que la rupture provient de l'agent ou résulte d'une faute grave.
Pour approfondir :
Une société spécialisée dans l’affichage numérique en milieu hospitalier (le mandant) avait, dès 2009, chargé une autre société de trouver des annonceurs du domaine médical et paramédical susceptibles diffuser leurs publicités sur les écrans installés dans les hôpitaux. La société mandatée percevait des commissions proportionnelles au montant des contrats conclus avec les annonceurs. Aucun contrat écrit n’avait été formalisé entre les parties, bien que leur collaboration ait duré plus de dix ans.
A l’issue de cette relation, la société mandatée a réclamé le paiement de commissions demeurées impayées, ainsi que d’une indemnité de préavis et d’une indemnité de rupture. Déboutée par le tribunal de commerce de Nanterre, elle a interjeté appel.
L’arrêt commenté met en évidence trois questions principales : (i) l’application du statut d’agent commercial, (ii) le point de départ de la prescription relative au paiement des commissions et (iii) le droit à l’indemnité de rupture.
- Primo, la cour d’appel de Versailles devait d’abord se prononcer sur la qualification d’agent commercial au sens de l’article L. 134-1 du Code de commerce. Elle rappelle que cette qualité suppose, cumulativement, que le cocontractant soit un intermédiaire indépendant, lié contractuellement de manière permanente à son mandant, et disposant du pouvoir de négocier et éventuellement de conclure des contrats au nom et pour le compte de celui-ci.
L’absence de contrat écrit ne saurait, en elle-même, faire obstacle à la reconnaissance de cette qualité si la réalité des relations contractuelles peut être démontrée par des éléments objectifs tels que des bons de commande, des factures ou des échanges écrits. En l’espèce, les pièces produites établissaient que la société mandatée assurait une mission de représentation du mandant, en signant en son nom et pour son compte des contrats de vente de prestations de services, et qu’elle avait le pouvoir de négocier ces contrats.
La cour d’appel infirme par conséquent le jugement de première instance et retient la qualification d’agent commercial.
- Secundo, pour ce qui concerne la prescription du droit à commission, la cour rappelle qu’en application des articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil, le délai de prescription est de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
L’agent soutenait que la prescription ne pouvait commencer à courir qu’à compter du moment où il avait eu connaissance du paiement des sommes dues par les clients, se fondant sur l’article L. 134-9 du code de commerce qui prévoit que la commission est acquise lorsque le mandant a exécuté le contrat ou que le client a payé le prix.
La cour d’appel écarte cette interprétation et fixe le point de départ du délai de prescription à la date de signature des bons de commande ou, le cas échant, à celle du renouvellement tacite des contrats. Cette solution s’explique par le fait que l’agent commercial disposait, dès la conclusion du contrat entre le mandant et le client, de l’ensemble des éléments lui permettant de calculer et de réclamer sa rémunération. La cour met ainsi en avant la connaissance potentielle de la créance, plutôt que la date du paiement effectif par les clients.
- Tertio, pour ce qui concerne les indemnités de préavis et de rupture, en l’absence d’écrit justifiant la rupture du contrat, la cour d’appel se fonde sur la facture la plus récente, daté du 2 décembre 2019, pour fixer la cessation du contrat d’agent commercial au 31 décembre 2019, compte tenu de l’absence d’activité ultérieure.
En application de l’article L. 134-11, alinéa 3, du code de commerce, la cour accorde à l’agent une indemnité compensatrice de préavis de trois mois, correspondant à la durée applicable à partir de la troisième année d’exécution du contrat.
La cour d’appel fait également droit à la demande d’indemnité de rupture prévue à l’article L. 134-12 du code de commerce, le mandant ne démontrant pas l’une des exceptions limitativement énumérées à l’article L. 134-13, à savoir la faute grave de l’agent, la rupture à son initiative, ou la cession du contrat avec l’accord du mandant. La cour estime dès lors que le seul constat de la cessation des relations suffit à ouvrir droit à indemnité, sans qu’il soit nécessaire d’établir que la rupture émane du mandant.
Cette position, favorable à l’agent commercial, s’inscrit dans la logique protectrice du statut, mais interroge toutefois sur l’équilibre des rapports entre mandant et agent commercial, en particulier sur la répartition de la charge probatoire en matière de rupture.
À rapprocher :
Un article rédigé par Lorène MURAT-HENRI du département Distribution, Concurrence, Consommation
