L'article 47, leurre ou épouvantail ?

L'article 47, leurre ou épouvantail ?

Art 47, Constitution du 4 octobre 1958

 

Ce qu'il faut retenir : 

En ces temps d’incertitude budgétaire grandissante, les regards se tournent, avec appréhension ou gourmandise, selon les cas, vers l’article 47 de la Constitution.

Cet article dispose, en son troisième alinéa, que « Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance ».

Pour approfondir : 

Le droit constitutionnel et les questions budgétaires sont intimement liés depuis l’origine des régimes parlementaires. Le vote du budget est un moment essentiel des régimes parlementaires, a fortiori lorsqu’ils sont démocratiques. Il est le moyen permettant au Parlement, en donnant au pouvoir exécutif les moyens financiers de sa politique, de choisir ou du moins de peser sur le choix de la politique à venir. Le droit budgétaire français est ainsi né, au XIX ème siècle, sous l’impulsion de Villèle et du baron Louis, et, sous les III° et IV° Républiques, le Parlement s’est emparé de ce pouvoir, dans des conditions telles que le vote du budget est devenu, au fil du temps, un exercice de plus en plus compliqué pour le Gouvernement.

Enlisée dans des discussions sans fin, l’adoption du projet de budget se heurtait souvent au calendrier de l’année civile et il n’était pas rare que, au soir du 31 décembre, le budget de l’année suivante ne fût pas adopté.  Deux techniques permettaient alors d’éviter un « shutdown » à l’américaine : soit on « bloquait la pendule » ce qui permettait au Parlement de continuer à débattre du projet de budget de l’année suivante non encore née, soit le Parlement adoptait un « douzième provisoire », c’est-à-dire une autorisation de dépenser un douzième de ce qui avait été dépensé l’année précédente, pour que l’administration puisse continuer à fonctionner avant que le Parlement ne se prononce définitivement sur le budget avant la fin janvier. Cette autorisation se doublait d’une autre, permettant la perception des impôts. Au besoin, à la fin de janvier, il n’était pas rare de procéder au vote d’un nouveau douzième provisoire.

C’est pour porter remède à cette situation pittoresque que le pouvoir constituant, en 1958, a fixé des règles précises en matière de procédure budgétaire et en particulier des délais, dans lesquels le pouvoir législatif est enfermé.

Le troisième alinéa, précité, de l’article 47 de la Constitution a été conçu pour sanctionner le non-respect de ces délais. C’est pourquoi il prévoit que dans l’hypothèse où le Parlement ne se serait prononcé dans un délai de soixante-dix jours, le Gouvernement peut mettre en vigueur les dispositions du projet de loi de finances par voie d’ordonnances. Il s’agit donc de dessaisir le Parlement de son pouvoir financier s’il refuse de l’utiliser de manière raisonnable.

Depuis 1958 aucun Gouvernement n’a jamais eu recours à cette procédure, laquelle a été transposée, en 1996, aux projets de loi de financement de la sécurité sociale (article 47-1, alinéa 2).

Il est vrai que, en cas de majorité relative, les Gouvernements ont utilisé l’article 49-3 de la Constitution qui, dans cette matière est d’un usage illimité.

C’est l’engagement pris par le Premier ministre actuel de ne pas recourir à l’article 49-3 qui a mis l’article 47 al.3 sous les feux de l’actualité.

L’avenir dira si le Gouvernement use de cette procédure. En tout état de cause, celle-ci appelle quelques remarques.

En premier lieu, elle constitue une simple faculté. Rien n’oblige le Gouvernement à y recourir et il lui est loisible de laisser la discussion parlementaire se poursuivre au-delà des soixante-dix jours, du moins si les autres dispositions de l’article 47 le permettent en termes de délais.

En deuxième lieu, les ordonnances prévues à l’article 47, contrairement à celles prévues à l’article 38, opèrent un transfert définitif des pouvoirs du législatif vers l’exécutif. C’est, semble-t-il, pour cette raison qu’en 2024 le président du Sénat s’était vigoureusement opposé à ce que le Gouvernement emprunte cette voie. Surtout, et le texte de la Constitution est parfaitement clair sur ce point, c’est le projet du Gouvernement qui est mis en vigueur par ordonnance, sans égard pour les amendements divers qui ont pu être adoptés au cours de la discussion parlementaire.

En troisième lieu, les ordonnances de l’article 47, qui ne donnent lieu à aucune ratification parlementaire, sont et demeurent des actes administratifs. Elles sont donc susceptibles de recours devant le juge de l’excès de pouvoir.

C’est cette caractéristique qui ouvre des perspectives inédites.

Règlementaires en la forme mais ressortissant à une matière législative par nature, les dispositions des ordonnances en cause ne pourraient, à l’avenir, être modifiées que par la loi.

Quant à la recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir contre telle ou telle de leurs dispositions, il reviendrait à la section du contentieux du Conseil d’Etat d’y statuer.

Faute de tout précédent, la tâche serait assez ardue.

On peut considérer en effet que la plupart des dispositions des ordonnances de l’article 47 n’intéressant que les rapports entre le Gouvernement et le Parlement et ne produisant d’effet direct qu’à l’égard des agents de l’administration chargés de les exécuter, elles ne seraient pas sources de droit et d’obligations pour les administrés. Dès lors, les principes établis par une jurisprudence ancienne (CE. 28 mars 1924, Jaurou : D.1924.III.29) qui exclut les lois de finances des sources de la légalité pourraient trouver à s’appliquer. Dans ce cas, les particuliers n’auraient pas intérêt à agir.

Il n’en reste pas moins que les dispositions financières de ces ordonnances, et notamment les dispositions fiscales doivent pouvoir être contestées, alors surtout que, par hypothèse, la saisine du Conseil constitutionnel par soixante parlementaires est impossible, tout comme sa saisine par la voie de la QPC, qui ne peut être dirigée contre des dispositions règlementaires.

La jurisprudence la mieux établie ferme la porte du prétoire au contribuable national, auquel est dénué tout intérêt à agir (CE. 13 février 1930, Dufour). Pour le dire autrement, il serait sans doute impossible de déférer directement au Conseil d’Etat telle ou telle disposition fiscale de la loi de finances « mise en vigueur par ordonnance ». Mais rien n’empêche un contribuable désireux de saisir le juge de l’impôt d’une disposition de forme règlementaire qui lui est opposable de le faire, et d’invoquer un moyen tiré de l’exception d’illégalité.

A l’occasion d’une demande contentieuse. Il appartiendrait alors au Conseil d’Etat, en sa qualité de cour suprême de l’ordre administratif, de veiller à ce que l’adoption de la loi de finances par la « procédure sanction » de l’article 47 n’ait pas pour effet de créer les conditions d’un déni de justice pour les contribuables. Telle n’était assurément pas l’intention du constituant de 1958.

 

Un article extrait de La Lettre des Affaires Publiques - Novembre 2025