Rupture brutale : l’insuffisance des résultats du distributeur ne justifie pas la rupture partielle d’une relation commerciale établie

Rupture brutale : l’insuffisance des résultats du distributeur ne justifie pas la rupture partielle d’une relation commerciale établie

CA Paris, 10 septembre 2025, n°23/09753

 

Ce qu'il faut retenir :

La Cour d’appel de Paris juge que l’insuffisance des résultats d’un distributeur ne saurait justifier la décision de ses cocontractants de réduire son secteur d’activité, en le privant de 80 % de son chiffre d’affaires, dès lors qu’aucun objectif de performance n’avait été contractuellement convenu entre les parties.
Une telle décision constitue donc une rupture partielle brutale des relations commerciales établies.

Pour approfondir :

En mai 2014, deux fabricants de bennes ont noué un partenariat commercial, non formalisé par écrit, avec un distributeur pour la vente de leurs produits dans huit départements du Sud de la France.

Estimant les ventes du distributeur insuffisantes, les fabricants ont, dès janvier 2021, informé le distributeur de leur volonté de réduire son secteur d’activité. Par lettre du 22 mars 2022, les fabricants ont finalement notifié au distributeur la réduction de son secteur d’activité à deux départements seulement.

Par courrier du 31 mars 2022, le distributeur a pris acte de la rupture de leurs relations commerciales et a indiqué son intention d’obtenir réparation de son préjudice sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Les fabricants ont contesté cette demande.

Dans ces conditions, le distributeur a assigné les deux fabricants devant le Tribunal de commerce de Lille.

Par jugement du 16 mai 2023 (n°2022014675), le Tribunal de commerce de Lille a considéré que la rupture des relations commerciales incombait aux fabricants de bennes et qu’elle présentait un caractère brutal. Les juges ont fixé la durée de préavis à un mois par année d’ancienneté, soit huit mois et ont alloué au distributeur une indemnisation avoisinant les 75.000 euros.

Les fabricants ont interjeté appel soutenant que la rupture des relations commerciales était imputable au distributeur en soulignant notamment que :

  • Le distributeur avait lui-même mis fin à la relation par courrier du 31 mars 2022 ;
  • La réduction du secteur d’activité était la conséquence directe de ses manquements, les parts de marché ayant stagné à 15% au lieu des 30% espérés ;
  • Le distributeur avait été informé dès janvier 2021 de la réduction envisagée de son secteur d’activité, bénéficiant ainsi d’un délai de 14 mois pour se réorganiser ;
  • Le distributeur ne rapportait pas la preuve de l’existence d’une exclusivité et, par voie de conséquence, d’un état de dépendance économique.

 

Après avoir rappelé que l’absence de contrat écrit n’excluait pas l’existence d’une relation établie, la Cour d’appel de Paris a ensuite confirmé le caractère brutal de la rupture, en relevant notamment que :

  • La première annonce de janvier 2021 n’avait pas pu faire courir de préavis, faute de notification écrite claire permettant au distributeur d’anticiper la réorganisation de son activité ;
  • La lettre du 22 mars 2022 traduisait une décision ferme et unilatérale de réduire le secteur d’activité du distributeur, supprimant six départements sur huit et le privant ainsi de 80 % du chiffre d’affaires généré par la vente des produits des fabricants, sans lui offrir la possibilité d’en renégocier les termes ;
  • Le préavis de dix jours prévu dans cette lettre équivalait à une absence de préavis ;
  • Surtout, aucun objectif de parts de marché ou de ventes n’avait été érigé en condition essentielle de la relation commerciale. La Cour d’appel de Paris a donc estimé que la non-atteinte des résultats escomptés ne pouvait, en l’absence d’engagement contractuel de performance, justifier une telle réduction du secteur d’activité.

 

En revanche, la Cour d’appel a rejeté la thèse de la dépendance économique, considérant que le distributeur, sur lequel reposait la charge de la preuve, n’avait produit aucun élément établissant une obligation d’approvisionnement exclusif.
Le distributeur restait donc libre de commercialiser d’autres marques concurrentes, de sorte que la dépendance économique alléguée n’était pas démontrée.

Ainsi, compte tenu de la durée de la relation (huit ans), du volume d’affaires réalisé, de l’absence de dépendance économique et du caractère non spécifique du secteur, la Cour a estimé que le distributeur aurait dû bénéficier d’un préavis de cinq mois.
Elle a ainsi réduit l’indemnisation du préjudice de 37 %, la ramenant d’environ 75 000 euros à 47 000 euros.

Par cet arrêt, la Cour d’appel de Paris a réaffirmé que le simple manque de performance commerciale d’un partenaire ne suffisait pas à justifier une rupture partielle d’une relation commerciale établie.

À rapprocher :

Un article rédigé par Claire SICARD du département Distribution, Concurrence, Consommation