Peut-on distribuer des dividendes en dehors de l’assemblée générale ordinaire annuelle ?
Cass.com, 12 février 2025– n°23-11.410 PB
Ce qu’il faut retenir :
En dehors des hypothèses strictement encadrées de distribution d’acomptes sur dividendes, la distribution de dividendes relève de la seule compétence de la collectivité des associés quelle que soit la forme sociale de la société. À contre-courant de la Cour d’appel de Paris, la Haute Juridiction est venue préciser que la décision de distribution de dividendes par prélèvement sur le report à nouveau bénéficiaire ne pouvait être prise que par l’assemblée générale ordinaire annuelle réunie dans le cadre de l’approbation des comptes.
Pour approfondir :
La clôture d’un exercice comptable représente une étape importante de la vie sociale d’une entreprise permettant de dresser un état précis et fiable de la situation financière d’une société sur l’année écoulée. Elle constitue également le point de départ d’un certain nombre d’obligations juridique, fiscale et comptable, dont notamment l’obligation de réunir une assemblée générale à l’effet d’approuver les comptes de l’exercice écoulé. Sauf stipulations particulières des statuts s’agissant des sociétés par actions simplifiées, cette assemblée générale ordinaire annuelle doit se réunir dans les six mois de la clôture de chaque exercice social.
Lors de cette assemblée générale ordinaire annuelle, la collectivité des associés procède à l’approbation des comptes du dernier exercice clos et statue sur l’affectation du résultat conformément aux dispositions impératives du Code de commerce. Ainsi, si les capitaux propres et les résultats sociaux le permettent, le cas échéant après apurement des pertes antérieures et dotation à la réserve légale et/ou statutaire, l’assemblée générale peut décider de procéder à une distribution de tout ou partie des sommes distribuables, de les mettre en réserve ou de les reporter à nouveau sur le(s) exercice(s) suivant(s).
Par ailleurs, sur le fondement des dispositions du Code de commerce et en particulier de l’alinéa 2 de l’article L. 232-11, la pratique avait admis que toute assemblée générale, en dehors de l’assemblée générale ordinaire annuelle, puisse procéder à une distribution de dividendes notamment par prélèvement sur les réserves librement constituées au cours des exercices antérieurs dûment approuvés.
Toutefois, par un jugement remarqué en date du 23 septembre 2022, le Tribunal de commerce de Paris a remis en cause la validité des distributions exceptionnelles décidées en dehors de l’assemblée générale annuelle d’approbation des comptes. Faisant une lecture stricte des dispositions des articles L. 232-11 et L. 232-12 du Code de commerce, les juges consulaires ont conclu, à tort, que la décision de distribuer des réserves ne pouvait être prise qu’au cours de l’assemblée générale annuelle d’approbation des comptes et que les dividendes versés en dehors de ladite assemblée générale constituaient des dividendes fictifs. Ce jugement avait alors suscité de vives inquiétudes sur une pratique pourtant largement répandue jusqu’alors.
Ce jugement a finalement été infirmé par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le 30 janvier 2025 estimant que, en l’absence de disposition légale ou réglementaire contraire, rien n’interdit de décider une distribution exceptionnelle de dividendes prélevés sur les comptes de report à nouveau et de réserves libres en dehors de l’assemblée générale ordinaire annuelle. Empreint d’un certain libéralisme, cette solution tant attendue par les praticiens vient toutefois d’être partiellement contredite dans une autre affaire par la Chambre commerciale de la Cour de cassation.
Par un pur hasard de calendrier, la Cour de cassation a en effet, dans un arrêt en date du 12 février 2025 publié au Bulletin, jugé qu’encourt la nullité la délibération d’une assemblée générale, autre que celle approuvant les comptes de l’exercice, décidant la distribution d’un dividende prélevé sur le report à nouveau bénéficiaire d’un exercice précédent. La Haute Juridiction souligne à cet égard que le report bénéficiaire d'un exercice est inclus dans le bénéfice distribuable de l'exercice suivant et que, par voie de conséquence, seule l'assemblée approuvant les comptes de cet exercice pourra décider son affectation et, le cas échéant, sa distribution. La solution dégagée par la Cour d’appel de Paris le 30 janvier 2025 se trouve donc partiellement invalidée.
Appelée à se prononcer uniquement sur la validité d’une distribution exceptionnelle par prélèvement sur le report à nouveau bénéficiaire, la Haute Juridiction ne se prononce pas sur la validité d’une distribution exceptionnelle par prélèvement sur les réserves librement constituées. La doctrine considère néanmoins que la distribution de dividendes prélevés sur les réserves en dehors d’une assemblée générale ordinaire annuelle demeurerait valide en vertu de l’alinéa 2 de l’article L. 232-11 du Code de commerce. La solution retenue par la Cour d’appel de Paris s’agissant de la libre distribution des réserves resterait ainsi valable.
Nul doute que la Cour de cassation aura l’occasion de lever les incertitudes persistantes entourant les distributions exceptionnelles de dividendes, notamment à l’occasion du pourvoi qui sera probablement dirigé contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 30 janvier 2025.
À rapprocher :
- L. 232-11 du Code de commerce
- L. 232- 12 du Code de commerce
- T. com. Paris, 16ème ch., 23 sept. 2022, n° J2021000542
- CA Paris, Pôle 5 - Chambre 9, 30 janvier 2025, n°22/17478
Un article rédigé par Patrice Montchaud et Nadia Knouzi, du département Société, Finance, Cessions & Acquisitions