Franchise participative et abus de minorité
Cass. com., 13 mars 2024, n°22-13.764, FS-B
Ce qu’il faut retenir :
La Cour de cassation rappelle que le refus d’un associé minoritaire de voter la modification de l’objet social peut être contraire à l’intérêt général de la société.
Par ailleurs, elle précise que la dénonciation du contrat de franchise impliquant une modification de l’objet social dépasse les compétences du gérant – raison pour laquelle en l’espèce l’abus de minorité n’a pas été retenu.
Pour approfondir :
La franchise participative désigne la situation par laquelle le franchiseur détient, directement ou indirectement, une participation au capital de la société franchisée. Ce modèle offre au candidat franchisé, ne disposant pas de fonds propres suffisants, la possibilité de rejoindre l’enseigne. Cela dit, la participation du franchiseur dans le capital du franchisé demeure le plus généralement minoritaire afin de préserver l’indépendance du franchisé.
Que se passe-t-il cependant lorsque le franchisé souhaite quitter le réseau mais que le franchiseur, associé minoritaire de la société franchisée, s’oppose au changement de l’objet social ? Ce refus constitue-t-il nécessairement un abus de minorité du franchiseur ?
En l’espèce, un franchiseur détient, indirectement, une participation minoritaire (26%) dans le capital d’une société franchisée dont l’objet social est limité à l’exploitation d’un fonds de commerce sous l’enseigne du franchiseur. La société franchisée exploite un supermarché sous l’enseigne du franchiseur. Le reste du capital (74%) est détenu par un couple de gérants. Les statuts prévoient que la modification de l’enseigne par la gérance requiert une autorisation des associés représentant plus des trois quarts des parts sociales. Le franchiseur peut donc s’opposer, seul, à la modification de l’enseigne.
En février 2020, le couple de gérants dénonce les contrats de franchise et d’approvisionnement, avec effet un an plus tard. En conséquence, ces derniers souhaitent modifier l’objet social de la société franchisée afin que le fonds de commerce ne soit plus limité à l’enseigne du franchiseur.
Or lors de l’assemblée générale tenue quelques mois après la dénonciation des contrats, le franchiseur a voté contre un projet de résolution supprimant de l’objet social la référence à l’exploitation sous enseigne du franchiseur et permettant au gérant de modifier librement l’enseigne, sans avoir à y être autorisé par décision des associés représentant plus des trois quarts des parts sociales.
S’estimant victime d’un abus de minorité, le couple de gérants assigne le franchiseur aux fins de voir désigner un mandataire ad hoc avec pour mission de voter en son nom sur ces projets de résolution.
En 2022, la Cour d’appel de Caen caractérise un abus de minorité du franchiseur : suite à la dénonciation des contrats, le projet de résolution était selon elle essentiel pour maintenir l’exploitation et assurer la survie de la société.
En 2024, la Cour de cassation casse partiellement l’arrêt de la Cour d’appel de Caen : parmi les moyens soulevés par le franchiseur, un seul retient l’attention de la Haute Juridiction sur la base duquel l’arrêt est cassé. En effet, la Cour d’appel ne peut nommer un mandataire ad hoc pour se prononcer sur la modification de l’objet social alors qu’elle retient par ailleurs que la dénonciation des contrats conduit à la nécessité de modifier l’objet social, ce qui échappe à la compétence des gérants.
Tout d’abord, la Cour de cassation réaffirme que le refus d’un associé minoritaire de modifier l’objet social peut être contraire à l’intérêt général de la société (et constituer un abus de minorité) – cela n’est pas nouveau.
Pour mémoire, l’abus de minorité est subordonné à la réunion de critères stricts. Premièrement, l'attitude du minoritaire doit être « contraire à l'intérêt général de la société en ce que celui-ci interdit la réalisation d'une opération essentielle pour elle » et deuxièmement, cette attitude doit procéder « de l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés ».
Le franchiseur ne peut donc pas s’opposer à une modification de l’objet social nécessaire à la survie de la société franchisée, sans commettre un abus de minorité (Cass. com., 19 mars 2013, n°12616.910).
Ensuite et toutefois, dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation ne retient pas l’abus de minorité du franchiseur.
La dénonciation des contrats suppose de modifier l’objet social de la société (et donc les statuts). La modification des statuts requiert une majorité des associés représentant plus des trois quarts des parts sociales. La dénonciation des contrats échappe donc à la compétence des gérants qui ne peuvent seuls dénoncer les contrats. En dénonçant les contrats sans que cette dénonciation ait été votée par les associés, les gérants outrepassent leur pouvoir. En conséquence, la dénonciation des contrats est irrégulière. Le franchiseur minoritaire votant contre, dans ce cas, ne peut être accusé d’abus de minorité.
A rapprocher : CA Caen, 20 janvier 2022, n°21/1013 ; Cass. com. 19 mars 2013, n°12-16.910.
Un article rédigé par Fanny Barrach du département Distribution, Concurrence, Consommation