Force majeure : Précisions sur l’exonération d’un transporteur pour le vol de marchandises lors d’un mouvement social
Cass. com. 5 juillet 2023 - n° de pourvoi 22-14.476, publié au bulletin
Ce qu’il faut retenir :
En l’absence d’informations précises relatives à la localisation d’un mouvement social, la force majeure peut être invoquée par un transporteur afin de s’exonérer de toute responsabilité au titre de l’article L.133-1 du Code de commerce dès lors qu’il lui était impossible de prévoir le vol de ses marchandises par des manifestants lors d’un barrage routier.
Pour mémoire :
La notion de force majeure permet au débiteur d’une obligation contractuelle de justifier une inexécution du contrat.
Plus précisément, un cas de force majeure est défini aujourd’hui par l’article 1218 du Code civil comme un évènement :
- échappant au contrôle du débiteur (critère de l’extériorité) ;
- qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat (critère de l’imprévisibilité) ;
- et dont les effets ne pouvaient être évités par des mesures appropriées (critère de l’irrésistibilité).
En pratique, il est fréquent que les parties intègrent, en fin de contrat, une clause dite « clause de force majeure » laquelle répute a priori des exemples de cas de force majeure et leurs effets.
Parmi ces cas de force majeure prévus par les parties, figurent d’une manière générale les mouvements sociaux à l’instar des grèves, des crises sanitaires, des pénuries de matières premières ou encore des aléas climatiques d’une grande ampleur.
Pour approfondir :
A titre liminaire, il convient de préciser que cette décision a été rendue sous l’empire du droit antérieur à la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016).
En l’espèce, un fournisseur de produits laitiers a confié à une société de transport l’acheminement de 24 palettes de marchandises à destination de Rungis.
A noter que les faits se sont déroulés dans un contexte de mouvement social en France des producteurs laitiers lors des négociations commerciales 2016.
Au cours du transport, des manifestants ont arrêté le transporteur, l’ont contraint à descendre du véhicule et ont déchargé trois palettes de marchandises pour les distribuer aux autres manifestants présents à proximité.
C’est dans ce contexte que le fournisseur de produits laitiers et son assureur ont assigné la société de transport en réparation de leur préjudice de non-livraison et de perte des marchandises sur le fondement de l’article L.133-1 du Code de commerce aux termes duquel :
« Le voiturier est garant de la perte des objets à transporter, hors les cas de la force majeure. […] »
A ce titre, les parties demanderesses soutenaient que le critère de l’imprévisibilité, élément essentiel de la force majeure, était en l’espèce inexistant, dès lors que, d’une part, des opérations de blocage par des agriculteurs étaient déjà en cours la veille et, d’autre part, un évènement similaire était d’ores et déjà survenu au même endroit et dans des circonstances analogues.
Le Tribunal de commerce de Bordeaux (dans un jugement du 8 octobre 2018 n°2017F00278) et la Cour d’appel de Bordeaux (dans un arrêt rendu le 4 novembre 2021 RG n° 18/06224) ont retenu l’existence d’un cas de force majeure exonératoire de responsabilité de la société de transport, et ont ainsi rejeté les demandes d’indemnisation formulées par le fournisseur de produits laitiers et son assureur.
C’est dans ce contexte qu’un pourvoi en cassation a été formé contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bordeaux pour défaut de base légale.
Par son arrêt en date du 5 juillet 2023, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnisation formée par le fournisseur et son assureur.
La Haute juridiction a estimé que la Cour d’appel avait valablement considéré que :
- la localisation du barrage des manifestants était imprévisible et irrésistible.
En effet, même si le mouvement social des agriculteurs était connu et qu’en conséquence le blocage d’un camion transportant des marchandises était prévisible, le transporteur ne pouvait raisonnablement pas prévoir en amont un itinéraire évitant le blocage de ses camions dans la mesure où :
- les organisations syndicales n’avaient pas donné de consignes précises aux manifestants quant à la localisation des barrages ;
- il n’avait pas été démontré que les informations routières et les réseaux sociaux avaient, le jour de l’incident, donné des informations utiles qui auraient permis au transporteur d’éviter un tel blocage.
- Le comportement des manifestants était imprévisible et irrésistible.
En effet, le transporteur ne pouvait raisonnablement prévoir que les manifestants allaient contraindre le chauffeur à descendre du véhicule et décharger de la marchandise du camion.
En résumé, un mouvement social initialement prévisible et résistible peut devenir imprévisible et irrésistible en l’absence d’informations précises relatives à son déroulement.
A rapprocher :
- com., 31 mars 1998, n° de pourvoi 96-17.272,
- com, 1er décembre 1992, n° de pourvoi 91-12.667
- CA Rennes, 10 mai 2022, n°19/01774
Un article rédigé par Estelle Philippon du département Concurrence, Distribution, Consommation