La cession du fonds de commerce n’emporte pas la cession de tous les contrats

La cession du fonds de commerce n’emporte pas la cession de tous les contrats

Cass. Com., 19 octobre 2022, n° 21-16.169

 

Ce qu’il faut retenir :

Le contrat de distribution exclusive n’est pas automatiquement transféré lors d’une cession de fonds de commerce et son transfert doit être prévu dans l’acte de cession.

Un tiers à un contrat de distribution peut engager sa responsabilité délictuelle s’il s’est rendu complice de l’inexécution du contrat par le cédant.

 

Pour approfondir :

Dans cette affaire, deux sociétés (un fournisseur et un distributeur) avaient conclu un contrat de distribution exclusive le 10 octobre 2016 pour une durée de cinq ans. Le 27 avril 2018, soit avant l’arrivée à terme du contrat, le fournisseur a cédé son fonds de commerce à une société tierce (acquéreur).

L’acquéreur et le distributeur ont ensuite engagé des négociations afin de conclure un nouveau contrat de distribution. L’acquéreur n’a finalement pas souhaité signer de nouveau contrat et en a informé le distributeur tout en lui précisant qu’il n’accepterait ni ne lui livrerait plus aucune commande.

Le distributeur a toutefois passé une nouvelle commande auprès de l’acquéreur et l’a mis en demeure de reprendre l’exécution du contrat de distribution et de lui livrer sa commande. Il a ensuite assigné en justice son ancien fournisseur (le cédant) et l’acquéreur (le cessionnaire) afin de les condamner à exécuter la dernière commande et payer des dommages-intérêts.

Dans son jugement du 15 mars 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux a débouté le distributeur de ses demandes à l’encontre de l’acquéreur et condamné l’ancien fournisseur qui n’avait pas accordé de préavis suffisant.

Le distributeur a relevé appel de ce jugement. La cour d’appel, dans son arrêt du 3 mars 2021, a confirmé la mise hors de cause de l’acquéreur et revu le montant de la créance du distributeur. Le distributeur a formé un pourvoi en cassation.

Dans sa décision du 19 octobre 2022, la Cour de cassation a organisé son raisonnement en deux temps.

 

  1. En premier lieu, sur la question du transfert du contrat de distribution exclusive lors d’une cession de fonds de commerce

Le distributeur a soutenu que l’acquéreur d’une marque est tenu de respecter les droits rattachés à celle-ci et donc d’exécuter les obligations nées d’un contrat de distribution. Il considérait que le contrat de distribution avait été transféré à l’acquéreur car il avait accepté de le poursuivre même s’il s’était finalement rétracté quelques mois après.

La Haute juridiction rappelle que les contrats ne sont pas automatiquement transférés lors de la cession d’un fonds de commerce, à l’exception du droit au bail, des contrats d’assurance, des contrats d’édition et des contrats de travail qui constituent des exceptions légales. En dehors de ces cas, le vendeur et l’acquéreur doivent prévoir dans l’acte de cession les contrats qu’ils souhaitent voir transmettre.

Dans cette affaire, l’acte de cession ne mentionnait pas le transfert du contrat de distribution et le fait que la cession ait porté sur la propriété des droits sur des marques n’avait pas d’importance. Les juges ont également rappelé que l’acquéreur avait informé le distributeur de sa volonté de ne pas signer un nouveau contrat de distribution. La Haute juridiction a ainsi écarté le contrat de distribution de la cession du fonds de commerce.

Pour les juges, le contrat de distribution exclusive ne faisait pas partie des exceptions légales et ne pouvait donc pas faire l’objet d’un transfert automatique suite à la cession d’un fonds de commerce.

 

  1. En deuxième lieu, sur la question de la responsabilité délictuelle du tiers acquéreur pour inexécution du contrat de distribution par le cédant

Le distributeur a soulevé que l’ancien fournisseur et l’acquéreur avait agi de concert pour empêcher l’exécution jusqu’à son terme du contrat de distribution exclusive, ce qui a permis à l’acquéreur de commercialiser les produits de ce contrat.

La Cour de cassation n’a pas retenu cette argumentation. Elle a reproché au juge d’appel, sur le fondement des articles 1200 et 1240 du code civil, de ne pas avoir vérifié, d’une part, si l’acquéreur avait connaissance de l’accord de distribution exclusive lors de l’acquisition du fonds de commerce, et d’autre part, s’il ne s’était pas rendu complice de l’inexécution du contrat de distribution avant de le mettre hors de cause.

En outre, les juges ont considéré que la responsabilité de l’acquéreur ne pouvait pas être écartée par le simple fait qu’il ait proposé une collaboration à l’un des clients du distributeur après que ce dernier ait prévenu ses clients qu’il ne serait plus leur intermédiaire.

La cour d’appel n’ayant pas procédé à ces recherches, la Haute juridiction a renvoyé les parties devant la cour d’appel sur cette question.

 

En définitive, avec cette décision, la Cour de cassation rappelle le principe de la non-transmission des contrats en matière de cession d’un fonds de commerce en précisant que le transfert d’un contrat de distribution n’est pas automatique et doit être prévu dans l’acte de cession. Elle met également en garde les acquéreurs complices du non-respect des obligations contractuelles du cédant.

 

A rapprocher :

CA de Paris, pôle 5, chambre 4, 3 mars 2021, n° 19/07293.

 

Un article rédigé par Anne Qin du département Concurrence, Distribution, Consommation