La Chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris a confirmé le 18 mai 2022 la mise en examen de la société LAFARGE SA pour complicité de crimes contre l’humanité. C’est la première fois qu’une entreprise, et plus particulièrement une société mère pour les activités de sa filiale, est mise en examen pour un tel crime.
La société LAFARGE SA aurait versé entre 2012 et 2015, par l’intermédiaire de sa filiale syrienne, près de 13 millions d’euros à des groupes terroristes dont l’Etat islamique (EI) et ce dans l’objectif de maintenir l’activité de son usine dans le Nord de la Syrie[1]. Aucun audit interne n’avait révélé cet état de fait[2] et les contrôles réalisés dans le cadre de la fusion de la société LAFARGE SA avec le groupe suisse HOLCIM en 2015 n’ont rien révélé non plus.
L’affaire avait été révélé par un article du Monde en 2016[3] et aboutissait à la mise en examen, en 2018, de huit cadres et dirigeants, dont l'ex-PDG de LAFARGE et de la société LAFARGE SA, désormais filiale de la holding LAFARGEHOLCIM, pour complicité de crimes contre l’humanité, financement d’une entreprise terroriste, violation d’un embargo et mise en danger de la vie d’anciens salariés de l’usine syrienne.
En 2019, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris avait invalidé l’ordonnance de mise en examen concernant la charge de complicité de crimes contre l’humanité estimant qu’il n’y avait aucun indice grave et concordant de complicité, et que l’élément intentionnel faisait manifestement défaut.
Par un arrêt du 7 septembre 2021[4], la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait précisé que « l'article 121-7 du code pénal n'exige ni que le complice de crime contre l'humanité appartienne à l'organisation, le cas échéant, coupable de ce crime, ni qu'il adhère à la conception ou à l'exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique, ni encore qu'il approuve la commission des crimes de droit commun constitutifs du crime contre l'humanité » ce qui signifie qu’on « peut être complice de crimes contre l’humanité même si l’on n’a pas l’intention de s’associer à la commission de ces crimes ».
Cette solution avait déjà été retenue dans le cadre des procès de Nuremberg[5] et semble logique dès lors que l’élément intentionnel de la complicité nécessite uniquement que le complice facilite sciemment le crime ou le délit[6] et non d’être identique à celui de l’auteur.
Après renvoi de la Cour de cassation et à la lumière de sa décision, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a finalement retenu contre LAFARGE, le 18 mai 2022, la charge de complicité de crimes contre l’humanité mais également celle de mise en danger de la vie des salariés syriens[7], s’ajoutant à la mise en examen pour financement d’une entreprise terroriste. La société LAFARGE SA semble vouloir se pourvoir à nouveau en cassation.
Outre les peines d’amende, d’interdiction d’exercer, de fermeture, ou d’exclusion des marchés publics qui peuvent être prononcées à l’encontre de la société LAFARGE SA, l’ensemble du groupe LAFARGEHOLCIM va supporter, en cas de condamnation, une forte atteinte à sa réputation.
Du reste, HOLCIM a su aussi se servir de cette affaire qui a permis un basculement du pouvoir interne, qui devait être à l’origine équitablement partagé, à son profit[8].
Nos préconisations
- - Etablir les risques liés aux activités en zone de conflit ;
- - Réaliser des contrôles et audits internes fréquents sur les activités en zone de conflit ;
- - Réaliser un audit pénal des activités en zone de conflits de la société que l’on souhaite acquérir ;
- - Négocier le montant de l'acquisition et les garanties lors de l'opération ;
- - Réaliser une enquête interne approfondie en aval de l'opération ;
- - Etablir un plan de remédiation en cas de découverte d’infractions.
[1] Le Monde, 7.11.19.
[2] « Lafarge SA reconnaît que le système de supervision de sa filiale syrienne ne lui a pas permis d'identifier les manquements survenus à la suite d'une violation sans précédent des règlements et des règles de conformité internes », communiqué de presse LAFARGE, 28.06.2018.
[3] Le Monde, 21.06.2016.
[4] Cass, crim, 7 septembre 2021, n° 19-87.367, 19-87.376 et 19-87.662
[5] Cass, crim, 23 janvier 1997, n° 96-84.822
[6] Article 121-7 du code pénal
[7] Confirmation de la mise en examen de Lafarge pour complicité de crimes contre l’humanité en Syrie, Sherpa, 18 mai 2022
[8] Chronique d’un rapport de Force : comment Holcim s’est approprié Lafarge, H. Contard, 15.10.18, site de l’EGE – La gestion du risque pénal et de la conformité à 360 ° : De l’audit à l’audience, Interconnexion conformité / PEIE en droit pénal de l’entreprise – Me David MARAIS – Editions L’Harmattan