L’article 121-2 du code pénal indique que la responsabilité pénale des personnes morales est engagée par ses organes ou représentants. La notion d’organe est traditionnellement entendue comme les représentants légaux de l’entité. La notion de « représentant » contient principalement les titulaires d’une délégation de pouvoir. La jurisprudence y avait également intégré quelques hauts cadres. La Cour de cassation redéfinit cette seconde catégorie de représentants en la reliant à la première à travers la notion de « délégation de pouvoir de fait » (Cass, crim, 9 juin 2022, n° 22-90.006, QPC).
A l’inverse, la jurisprudence semblait avoir admis une forme de délégation de pouvoir vers d’autres personnes morales concrétisée par des contrats de transfert de responsabilité, transfert que la Cour de cassation refuse désormais (Cass, crim, 8 juin 2022, n° 21-82.127).
1. Redéfinition des personnes physiques intégrant la catégorie des « représentants » pouvant engager la responsabilité pénale des personnes morales : la délégation de pouvoir de fait
La notion de « représentant » visé à l’article 121-2 du code pénal contient traditionnellement les titulaires d’une délégation de pouvoir1, dès lors que ceux-ci ont « la compétence, l’autorité et les moyens nécessaires »2. La jurisprudence y avait également intégré quelques hauts cadres qui « participaient aux pouvoirs de direction de l’employeur »3.
Toutefois ce critère de la « participation aux pouvoirs de l’employeur » n’était pas très clair.
Profitant d’une QPC, la Cour de cassation a, le 9 juin 2022 (n° 22-90.006, QPC), précisé cette seconde catégorie de « représentants », en la rapprochant de la première, en exigeant que ces cadres correspondent aux critères de la délégation de pouvoir, usant ainsi de la notion de délégation de pouvoir de fait :
« il convient d’identifier la personne physique représentant de droit ou de fait de la personne morale qui, comme tel, se trouve investie de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission, par laquelle l’infraction reprochée a été commise ».
Ainsi la responsabilité pénale d’une personne morale sera désormais engagée par toute personne qui remplira, en droit ou désormais en fait, les critères de la délégation de pouvoir.
2. La condamnation des contrats ou clauses de transfert de responsabilité entre personnes morales
Par l’arrêt du 8 juin 2022 (n° 21-82.127), la Cour de cassation a répondu à une question souvent posée en pratique et sur laquelle la jurisprudence était très rare : une société peut-elle contractuellement transférer sa responsabilité pénale à une autre entité ?
En l’espèce, une société exploitant un parc d’exposition (« 1 ») concluait un contrat de mise à disposition d’un espace avec une société organisatrice de salons (« 2 ») pour l’organisation d’un évènement dans les locaux loués par la première. Le contrat prévoyait que la société d’exploitation assurait les services de fourniture d’eau, d’électricité et réseaux de télécommunication, la signalétique, la sécurité incendie et la sécurité des manifestations. La société organisatrice confiait à son tour les opérations techniques, comprenant la logistique de l’installation du salon, à un prestataire tiers installateur (« 3 »).
Lors de l’installation des stands, une salariée de la société d’exploitation (« 1 ») était percutée par un engin élévateur conduit par un salarié du prestataire installateur (« 3 ») et a eu une ITT de 6 mois.
La société d’exploitation a été poursuivie des chefs de blessures involontaires et d’infractions à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs tirés notamment de la méconnaissance des obligations imposées à l’entreprise utilisatrice, notamment le devoir de coordonner et de faire respecter en son sein la sécurité des salariés.
Relaxée en première instance, la société d’exploitation a été condamnée par la Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 17 mars 2021, pour blessures involontaires et infractions à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs à savoir le non-respect de l’obligation de coordination des mesures de prévention lors des travaux réalisés par une entreprise extérieure, d’exécution de travaux par entreprise extérieure sans inspection commune préalable, et d’exécution de travaux par entreprise extérieure sans plan de prévention des risques.
La société d’exploitation (« 1 ») contestait cette condamnation au regard de la convention la liant à la société organisatrice (« 2 ») lui transférant la qualité, et les responsabilités pénales, de l’entreprise utilisatrice. De ce fait la première désignait la seconde comme seule responsable du manque de sécurité sur les lieux et donc de l’accident causé par la troisième.
Après avoir validé la décision de la Cour d’appel, la Chambre criminelle précise que « les dispositions de l’article R. 4511-1 du Code du travail, qui définissent l’entreprise utilisatrice comme celle dans les locaux de laquelle une entreprise extérieure fait intervenir ses salariés pour réaliser une opération, ne prévoient aucun condition relative à une éventuelle relation contractuelle entre les deux entreprises et imposent des obligations d’ordre public, auxquelles les parties ne peuvent déroger par des clauses contractuelles ».
Ainsi la notion d’entreprise utilisatrice s’apprécie, comme l’exige le Code du travail, au regard de l’organisation et de l’accueil dans les locaux et non au regard d’une clause contractuelle qui ne saurait déroger à cette règle d’ordre public et n’a donc aucune validité.
Plus généralement, si la rare jurisprudence précédente tendait à admettre le transfert contractuel de responsabilité4, cet arrêt pose donc clairement un refus de cette pratique que les entreprises devront rapidement prendre en considération.
Un article rédigé par David Marais et Julie Guenand, du département Droit pénal pénal de l'entreprise, Compliance, RSE & Intelligence économique