Règlement Bruxelles I Bis : précision sur le critère d’extranéité dans le cadre d’un voyage à forfait conclu entre deux personnes d’un même État membre et sur la détermination de la règle de compétence
CJUE, 29 juill. 2024, aff. C‑774/22
Ce qu’il faut retenir :
La Cour de justice précise dans son arrêt que l’article 18 du règlement « Bruxelles I Bis » doit être interprété en ce sens qu’il détermine « la compétence tant internationale que territoriale de la juridiction de l’État membre dans le ressort de laquelle est domicilié le consommateur, lorsqu’une telle juridiction est saisie, par ce consommateur, d’un litige l’opposant à un organisateur de voyages à la suite de la conclusion d’un contrat de voyage à forfait, et que ces deux cocontractants sont l’un et l’autre domiciliés dans cet État membre, mais que la destination du voyage se situe à l’étranger ».
Pour approfondir :
Le règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012, dit « Bruxelles I Bis » édicte des règles permettant de déterminer la compétence internationale des ordres judiciaires des États membres de l’Union Européenne en matière civile et commerciale.
Le règlement « Bruxelles I Bis » prévoit notamment des règles de compétences protectrices des parties faibles, et notamment des règles de compétence en matière de contrats conclus par des consommateurs au sein de sa section 4. L’article 17.3 du règlement précise que ce dernier a vocation à s’appliquer aux contrats conclus par des consommateurs et concernant un voyage à forfait
Le règlement « Bruxelles I Bis » a donc vocation à s’appliquer en matière civile et commerciale, pour toutes les actions introduites à compter du 10 janvier 2015, et à condition qu’un lien d’extranéité puisse être caractérisé.
C’est ce lien d’extranéité qui a notamment fait l’objet de l’arrêt commenté, rendu à la suite d’un renvoi préjudiciel de la juridiction interne allemande saisie par un consommateur allemand qui avait conclu, avec un organisateur de voyage domicilié en Allemagne, un voyage à forfait vers un État tiers.
Le consommateur allemand, s’estimant lésé de ne pas avoir été suffisamment informé par l’organisateur de voyage des conditions d’entrée et des visas requis pour son voyage dans l’État tiers concerné, a assigné ce dernier devant la juridiction allemande du lieu de son domicile.
Deux questions se posaient dans cet arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne.
La première était relative à l’application du règlement « Bruxelles I Bis » dans le cadre d’un litige opposant un consommateur et un professionnel tous deux domiciliés dans un même État membre, et concernait le fait de savoir si le critère d’extranéité pouvait se déduire de la seule destination du voyage à forfait conclu, et donc du lieu d’exécution de la prestation de service fournie au consommateur.
La réponse de la Cour a été particulièrement claire, cette dernière exposant de manière limpide que « si l’élément d’extranéité est manifestement présent dans l’hypothèse où au moins une des parties a son domicile ou sa résidence habituelle dans un État membre autre que l’État membre de la juridiction saisie, le caractère international peut toutefois également résulter, ainsi que relevé par M. l’avocat général au point 32 de ses conclusions, d’autres facteurs liés, notamment, au fond du litige », et que « un litige afférent à des obligations contractuelles supposées être exécutées soit dans un État tiers, soit dans un autre État membre que l’État membre dans lequel les deux parties sont domiciliées, est de nature à soulever des questions relatives à la détermination de la compétence des juridictions dans l’ordre international et remplit, dès lors, la condition de l’élément d’extranéité requise pour que le litige relève du champ d’application du règlement n° 1215/2012 ».
La Cour rajoute que « en l’occurrence, une affaire impliquant une demande d’un voyageur au sujet de problèmes rencontrés dans le cadre d’un voyage à l’étranger, organisé et vendu par un organisateur de voyages, doit, indépendamment de la nature précise de ces problèmes, être considérée comme présentant un caractère international aux fins du règlement n° 1215/2012, la destination du voyage étant un élément facile à vérifier et rendant le régime de compétence judiciaire applicable prévisible pour les parties » .
La règle de l’article 18 du règlement « Bruxelles I Bis » est donc précisée : le critère d’extranéité peut se déduire du seul lieu d’exécution d’un voyage à forfait, peu important que les parties soient domiciliées sur le même État membre.
La seconde question soulevée dans le cadre de cette affaire était de savoir si la règle édictée à l’article 18 du règlement « Bruxelles I Bis » déterminée seulement la compétence internationale d’un ordre juridictionnel, ou bien également la compétence territoriale interne d’une juridiction à l’intérieur de cet ordre juridictionnel.
Là encore, la Cour a rendu une décision dénuée d’ambigüité, en précisant qu’il « ressort du libellé même du paragraphe 1 de cet article que les règles de compétence juridictionnelles retenues par cette disposition, lorsque l’action est intentée par un consommateur, visent, d’une part, « les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée [l’autre] partie » et, d’autre part, « la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié » ».
Un article rédigé par Clémence Berne, du département Concurrence, Distribution, Consommation