Constitue une entente anticoncurrentielle le fait pour un franchiseur de restreindre la vente en ligne et la vente aux professionnels à ses franchisés

Constitue une entente anticoncurrentielle le fait pour un franchiseur de restreindre la vente en ligne et la vente aux professionnels à ses franchisés

Aut. conc., déc. n° 24-D-02 du 6 févr. 2024

 

Ce qu’il faut retenir :

Est sanctionné pour avoir mis en œuvre des pratiques en violation des articles 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) et L.420-1 du Code de commerce le franchiseur qui restreint la vente en ligne des produits par les franchisés ainsi que les ventes des franchisés à une clientèle professionnelle.

Pour approfondir :

Par une décision n° 20-SO-03 du 30 mars 2020, l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office à la suite de la transmission d’un rapport d’enquête établi dénonçant des pratiques d’interdiction et de restriction de vente sur Internet, susceptibles de relever de l’article L. 420-1 du Code de commerce. Le 18 janvier 2023, le rapporteur général de l’Autorité a adressé une notification de griefs portant sur des pratiques prohibées au titre de l’article 101 du TFUE et de l’article L. 420-1 du Code de commerce à un franchiseur et sa société mère.

 

En l’espèce, le franchiseur a, d’une part, instauré au sein de son réseau de franchise une politique commerciale de centralisation de la vente en ligne de ses produits à travers son propre site internet, restreignant ainsi l’utilisation du canal de vente en ligne par les franchisés sur leurs potentiels sites internet. Cette politique commerciale était prévue au sein des différents contrats de franchise en vigueur pendant cette période, ainsi que dans leurs annexes et dans les règles déontologiques du manuel opératoire.

D’autre part, la seconde pratique consistait pour le franchiseur, entre mars 2006 et le 29 mars 2022, à imposer à ses franchisés le respect des principes directeurs et des consignes particulières dans leurs activités de prospection commerciale envers la clientèle professionnelle, les empêchant de se concurrencer dans leurs zones territoriales respectives, malgré l’absence d’exclusivité sur cette clientèle.

 

Par cette décision du 6 février 2024, l’Autorité de la concurrence a considéré que le franchiseur était l’auteur d’ententes verticales, et a infligé conjointement et solidairement au franchiseur et à sa société mère une amende de 2.312.000 euros pour avoir restreint la vente en ligne à ses franchisés et une amende de 1.756.000 euros pour avoir restreint la vente de ces derniers à destination de la clientèle professionnelle.

 

Récemment, l’Autorité de la concurrence avait déjà sanctionné des têtes de réseaux pour des pratiques semblables qui tendent à interdire aux distributeurs de vendre en ligne (Aut. conc., déc. n° 23-D-12 du 11 déc. 2023 ; Aut. Conc., déc. 23-D-13, 19 décembre 2023).

 

L’Autorité de la concurrence constate qu’en l’espèce, l’accord de volontés établissant l’entente verticale résulte, d’une part, de l’édition de contrats de franchise et de manuels opératoires, témoignant de la sollicitation du franchiseur, et d’autre part, d’un ensemble d’éléments de preuves contractuelles et documentaires directes convergentes, démontrant l’acquiescement des franchisés aux clauses restrictives de vente par internet par la signature des contrats de franchise.

 

S’agissant du premier grief, le franchiseur a élaboré un système centralisé de vente en ligne via son site internet national, ce qui a entrainé l’adoption de pratiques restreignant la capacité de ses franchisés à vendre les produits sur un site internet exploité en propre.

 

Les franchisés avaient la possibilité d’avoir un site internet vitrine pour présenter leur magasin et les produits disponibles à la vente. Bien que le franchiseur ait prévu une dérogation à cette interdiction, celle-ci était limitée dans le temps et l’espace, et soumise à une autorisation préalable du franchiseur.

Sur ce point, il est de jurisprudence constante que la clause contractuelle interdisant de facto toute forme de vente par internet pour les produits en cause n’apparaît pas justifiée par un objectif légitime et constitue une restriction de concurrence par l’objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (CA Paris, 31 janv. 2013, n° 2008/23812).

 

À partir de 2014, le franchiseur a modifié les termes de ses contrats de franchise en retirant explicitement l’interdiction de toute vente en ligne aux franchisés, mais les annexes mentionnaient encore l’exclusivité du franchiseur pour la vente en ligne. Depuis 2019, il n’existe plus dans ses contrats de franchise de référence à l’exclusivité du franchiseur concernant la vente en ligne.

 

L’autorité de la concurrence souligne que l’application combinée des stipulations du contrat de franchise et du manuel opératoire, rappelées ci-dessus, a conduit à segmenter artificiellement le marché concernant le canal de distribution en ligne, à la fois entre les franchisés, au niveau de leur zone d’exclusivité territoriale respective, et entre les franchisés et le franchiseur, limitant ainsi la concurrence dans la commercialisation des produits en cause.

Elle rajoute que la restriction des ventes en ligne n’est pas consubstantielle à la structuration en réseau de franchise des distributeurs de produits du franchiseur, et n’en constitue pas l’accessoire nécessaire.

 

De plus, de telles stipulations ne sont pas davantage justifiées par l’importance des investissements réalisés par le franchiseur pour la création de son site internet, et par son souci de maintenir l’image de marque du réseau.

S’agissant du second grief, depuis mars 2006 au moins, le dispositif contractuel élaboré par le franchiseur en matière de clientèle professionnelle est fondé sur un principe de non-exclusivité, mais la déontologie hors boutique du manuel opératoire établit en réalité un système de répartition des ventes, selon leur zone de chalandise respective.

En effet, les franchisés sont contraints à démarcher la clientèle professionnelle située en priorité sur leur zone de chalandise propre. Ces derniers ne sont autorisés à prospecter d’autres zones territoriales, couvertes ou non par un franchisé concurrent, que lorsque la zone de chalandise contractuellement attribuée est intégralement prospectée et après avoir vérifié auprès du client qu’il n’avait pas été démarché par un autre franchisé. Ceci en dépit de l’absence d’une exclusivité contractuellement attribuée sur cette clientèle.

 

L’application de ce dispositif contractuel aboutit à une répartition des marchés, restreint tant les ventes actives que les ventes passives réalisées auprès des clients professionnels, et diminue la concurrence, d’une part, entre les franchisés, et d’autre part, entre les franchisés et le franchiseur, qui opérait également sur le marché de détail.

 

Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne que des accords portant sur la répartition des marchés constituent des violations particulièrement graves de la concurrence (CJUE, Cour, 13 déc. 2017, C-487/16 ; CJUE, Cour, 20 janv. 2016, C-373/14).

 

En l’espèce, le franchiseur justifie l’instauration et l’application de la déontologie hors boutique principalement pour éviter de porter atteinte à l’identité et à la réputation commune du réseau par une succession de litiges qui dégraderaient l’image de marque locale et diminueraient la performance commerciale réalisée en magasin.

 

L’autorité de la concurrence énonce que l’utilisation du terme « zone de chalandise contractuelle » démontre la volonté du franchiseur d’étendre l’exclusivité territoriale détenue pour la clientèle non professionnelle à la zone de prospection de la clientèle non professionnelle. Le respect de ces règles conduit ainsi à restreindre la concurrence entre les franchisés, à l’intérieur et en dehors des zones de chalandise contractuelles.

Dans la mesure où le franchiseur a expressément décidé de ne pas attribuer d’exclusivité aux franchisés, quelle que soit leur localisation géographique, il ne pouvait parallèlement prévoir des stipulations restreignant les ventes actives et les ventes passives à l’intérieur d’un territoire reproduisant le périmètre de la zone de chalandise contractuelle entre les franchisés pour la prospection de la clientèle professionnelle, et limitant ainsi la prospection en dehors de cette zone.

Par conséquent, l’Autorité de la concurrence considère que les restrictions commerciales concernant la clientèle professionnelle ne peuvent être regardées comme nécessaires et proportionnées à l’objectif de préservation de la réputation de la marque du franchiseur.

 

A rapprocher : Article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne ; Article L.420-1 du Code de commerce ; CA Paris, 31 janv. 2013, n° 2008/23812 ; CJUE, Cour, 20 janv. 2016, C-373/14 ; CJUE, Cour, 13 déc. 2017, C-487/16 ; Aut. conc., déc. n° 23-D-12 du 11 déc. 2023 ; Aut. Conc., déc. 23-D-13, 19 décembre 2023

 

Un article rédigé par Clémence Berne, du département Concurrence, Distribution, Consommation